Rechercher le magasin

Derniers blogs

21. Février 2011, 00:00 Colonnes

La mondialisation a commencé par un grand tissu de liens communautaires – vont-ils disparaître?

students Redaktion - La toute première mondialisation a commencé par un incroyable tissu de liens communautaires – sa descendante est-elle maintenant en train de les défaire jusque dans leur petit ? Les hommes primitifs sont probablement partis de l’Afrique centrale pour élargir leurs ...

La toute première mondialisation a commencé par un incroyable tissu de liens communautaires – sa descendante est-elle maintenant en train de les défaire jusque dans leur petit ?

Les hommes primitifs sont probablement partis de l’Afrique centrale pour élargir leurs horizons en Moyen Orient, en Europe, en Asie et dans le continent Australien, et enfin dans le territoire des deux Amériques. Les continents, qui à l’époque étaient rapprochés et liés par des isthmes, se sont par la suite éloignés les uns des autres, après que ces passages aient été effacés par la montée des eaux. Les différents groupes d’hommes qui s’étaient alors installés dans l’une ou dans l’autre de ces régions ont été séparés par la nature, qui a également façonné ces communautés en fonction de leurs besoins de survie (ainsi la couleur de la peau dépend de l’exposition au soleil, les traits somatiques varient en fonction des températures à affronter) créant ainsi ce que l’on appelle, sans aucun mépris, les races.La meilleure manière de survivre à ces nouveaux territoires, ces nouveaux climats auxquels tous ces groupes durent faire face était la collaboration. C’est ainsi que les hommes, dans chacune de ces micro ou macro régions qu’ils avaient occupées en se dispersant, se réunirent en petites communautés (semi) sédentaires. C’est ainsi qu’elles développèrent, chacune de son côté, leurs mœurs et croyances, une culture et un système économique qu’elles ont voulu tôt ou tard renforcer – un renforcement basé sur l’expansion, car de nouveaux territoires et de nouvelles populations (désormais inconnues malgré de proches racines communes) représentent de nouveaux espaces où s’installer confortablement (ou de nouvelles cultures à connaître pour améliorer la sienne).

La toute première dispersion des hommes les a donc poussés à créer des communautés, dont une bonne partie a tiré de ses habitudes un nouveau désir d’expansion. Ce dernier se traduit souvent en conquêtes violentes de territoires désormais appartenant à d’autres communautés, ou en l’occupation de terres encore désertes où une nouvelle petite civilisation fleurissait sans aucun lien avec sa communauté de départ ni avec celles qui l’entouraient de loin. Mais nul ne peut nier que, bien que motivées plus par la croissance démographique (et donc le besoin de nouveaux espaces) et l’attrait du commerce que par l’appel du sang (pour resserrer donc les liens avec d’anciens confrères désormais éloignés) ou par le désir de connaissance, ces expansions ont été une première forme de mondialisation – d’ailleurs, la découverte du Nouveau Monde était- elle principalement fondée sur d’autres raisons ? À croire que les hommes, qui sont partis à la conquête du monde pour développer un peu partout, chacun de son côté, des sociétés incroyablement organisées, sont irrésistiblement poussés à se réunir.
Et l’histoire continue au jour d’aujourd’hui, puisque chacun veut pouvoir se rendre dans des endroits éloignés et connaître ce qui se passe partout dans le monde le plus rapidement possible. Parfois cela a des impacts positifs, parfois négatifs.
Cependant, quelque chose a changé. Bien que les hommes continuent de faire le possible pour rester en contact de loin (et les limites de ce possible ont été poussées bien plus loin qu’il n’était concevable à l’époque des premières petites mondialisations, où chaque déplacement constituait un véritable défi), la proximité ne semble quant à elle plus favoriser aucun lien.

Les communautés n’existent plus, c’est à peine si l’on connaît ses voisins, et si l’on collabore avec ses collègues il est souvent question d’obligations. Mais plus surprenant (ou triste ?) encore, la « cellule de base » même de la société, la famille(1), semble désormais un concept surpassé : si certains Pays ont du mal à faire baisser leur taux de natalité, ce dernier passe en dessous du niveau de remplacement (ce qui correspond à deux enfants par couple, à savoir le même nombre de représentants de la nouvelle génération que de l’ancienne pour que la densité démographique ne baisse pas) dans la plupart -notamment au Nord-, et il en est de même pour la moyenne mondiale (bien qu’évidemment elle doit être pondérée par les données manquantes).

Certes, le taux de divorce avoisine le 50% dans plusieurs régions du monde, et l’on pourrait en déduire que si chaque famille a un seul enfant au maximum mais que chaque personne peut fonder plus qu’une famille, le nombre total d’enfants ne devrait pas diminuer de beaucoup. De même, beaucoup de couples cohabitent et peuvent avoir des enfants sans être mariés, ce qui risque également de fausser les statistiques par la négative. Mais on peut surtout en déduire que non seulement les enfants ne sont plus une priorité (devancés par les projets de carrière et de temps libre, ils ne deviennent un désir que seulement lorsque l’on a accompli tout le reste, avec en prime un risque de diminution de la fertilité), mais en plus la tendance est à une vie indépendante et individualiste, avec le moins d’engagements intra-personnels possibles.

Ceci est spécialement vrai dans les Pays économiquement très développés – mais il ne faut pas oublier que les migrations, qui peuvent forcer les individus à couper les ponts avec leurs familles (tout en s’intégrant mal dans le Pays de destination), touchent quant à elles surtout les Pays pauvres, faisant de la désintégration du foyer familial un phénomène mondial.Il en est de même pour les jeunes, souvent poussés à quitter leur Pays d’origine pour poursuivre leurs études et trouver un emploi – bien que les plus soumis à ce mécanisme semblent être ceux qui sont les plus attachés à leurs origines, ce qui est probablement dû au fait que les jeunes qui ont grandi dans un Pays pauvre perçoivent malheureusement comme indispensable une émigration à fins universitaires, mais ont été éduqués de façon traditionnelle et sont donc plus attachés aux mœurs familiaux et moins habitués, faute de moyens, à voyager.L’on ne peut pas non plus négliger les statistiques prouvant qu’une grande partie des personnes âgées vivent désormais seules : parfois elles l’ont choisi (le désir d’indépendance ne diminue pas toujours avec l’âge), mais parfois ce sont leurs familles qui l’ont voulu, car le désir de s’affranchir des liens n’affecte pas seulement le taux de natalité et de nuptialité, mais cause aussi la disparition de la famille élargie (pluri générationnelle).

Mais l’on peut surtout remarquer que, à côté de ces stéréotypes qui sont loin de se réaliser aussi souvent que l’on croit (hommes volages ou forcés du travail, femmes ambitieuses et dénigrant la vie de ménage, jeunes qui quittent le foyer le plus tôt possible, personnes âgées laissées pour compte), les désirs restent les mêmes. Les hommes travaillent pour assurer un futur à leur famille, et si les femmes en font de même c’est en partie parce que le coût relatif de la vie a augmenté (les enfants ont des exigences moins bon marché de nos jours) ; le désir d’enfants ne diminue pas pour autant, seulement ces obligations de travail repoussent l’âge où ils sont envisageables ; les jeunes sont attirés ailleurs par leurs études et leur curiosité, mais s’ils ont le choix ils n’hésitent à rentrer souvent chez leur famille – et s’ils donnent l’impression de bien vivre la séparation physique, c’est peut-être aussi parce qu’elle est atténuée par les moyens de communication et de transport qui sont aujourd’hui très performants ; quant aux personnes âgées, la frénésie de la vie empêche peut-être leur réinsertion physique dans le foyer familial (et il ne faut pas oublier que les moyens de communication à distance jouent désormais pour elles aussi un rôle rapprochant), mais ne desserre pas forcément pour autant les liens affectifs ni les offres d’aide.

Simplement, la réduction virtuelle de la taille du monde, fruit de cette mondialisation qui semble être la cause de tout, engendre sans cesse de nouveaux défis économiques et réveille de nouvelles curiosités, favorisant (parfois à contrecœur) une vie au rythme très rapide, mais cela ne risque pas de désintégrer les familles les plus unies – peut-être seulement de mettre en évidence les ruptures déjà existantes, tout en distendant les liens moyennement forts.

(1) Sur la base de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), c’est ainsi qu’elle est définie en 1994 lors de la Conférence sur la population et le développement (organisée par les Nations Unies).

Par Sofia Marazzi

Source : L’atlas des mondialisations, Le Monde – La Vie (hors série, 2010). ”La longue marche de l’homme„, ”Les premières formes de mondialisation „, ”La famille va-t-elle disparaître ?„ et ”Des étudiants cosmopolites „.

Commentaires
Login