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2. Mai 2012, 00:00 Music Festivals Interview

Claude Nobs - Interview

Sophia Bischoff - Il est 15h, la journée conférence presse au Chalet prend gentiment fin. Students.ch a rendez-vous avec Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz Festival. Au menu ? De la musique, des anecdotes et des conseils pour les étudiant(e)s qui seraient intéressé(e)s à poursuivre la même carrière

Claude Nobs : Je viens d’être nommé Docteur Honoris Causae de l’EPFL. C’est quand même le comble compte tenu du fait que j’ai aucune notion de technique. Ils m’ont dit qu’ils me donnaient ce titre parce que j’avais eu des idées tellement avant-gardistes sur les nouvelles technologies, que cela avait boosté les étudiants. Ca concerne le projet des archives du Montreux Jazz. Si je n’avais pas eu la volonté dès le début de garder les archives, on aurait plus rien.

Students.ch : Etes-vous globalement satisfait de la programmation de cette 46ème édition ?
Claude Nobs : Je suis toujours globalement satisfait parce que je fais tout pour. On était comme des fous jusqu’à 4h ce matin pour boucler le programme. Mais, il y a toujours des petits points qui ne sont pas encore réglés, ou des groupes que j’aimerai encore faire passer. Il y a encore des possibilités complémentaires pour améliorer, affiner le programme. C’est un peu les restes de mon métier de cuisinier. J’attends que la soupe soit prête pour voir si je peux rajouter du gingembre, du sucre ou du miel. Il y a évidemment le danger, après un programme bien complet, de trop en rajouter. C’est un peu le défaut du cuisinier qui veut trop en mettre. Mais là, je crois que j’ai appris un peu à me retenir. La seule soirée où je ne vais pas me retenir et où le public non plus, c’est la soirée « Freak Out » avec Nile Rodgers et Mark Ronson qui aura lieu vendredi 13 juillet. On aura une soirée qui finira certainement vers 6h-7h du matin avec un petit déjeuné qui sera compris dans le prix du billet.

Students.ch : Est-ce qu’il vous arrive de poser un véto à la venue d’un artiste ?
Claude Nobs : Aujourd’hui, ca serait plutôt dans le domaine du hip-hop agressif, parce qu’il y a aussi du hip-hop gentil. Mais, il y en a quand-même que je ne trouve pas nécessaire. Il n’est pas nécessaire de développer de la haine, d’utiliser des « four letter workds » toutes les deux secondes. Ca ne m’intéresse pas et je pense qu’il est mieux de rester dans un domaine un peu plus amicale, positif.

Students.ch : Par rapport à l’évolution industrie musicale, est-ce que cela vous a poussé à effectuer des changements dans l’organisation du festival ?
Claude Nobs : Ca n’a pas changé l’organisation. Cela a peut-être changé la manière de faire la programmation et, surtout, même s’il y a une baisse dans la vente des CD et des DVD, il y a toujours un besoin de programme de télévision, de radio. Le fait que depuis plus de 40 ans on enregistre tous les concerts en vidéo et en audio nous permet de donner aux musiciens la possibilité de sortir un programme télévision ou autre. C’était toujours difficile d’avoir les droits de diffusions des musiciens. La plupart viennent des Etats-Unis. Là-bas, c’est horrible. L’éclairage est violent, tout est minuté à la seconde près. A Montreux, on est beaucoup plus souple donc s’ils ne veulent pas, je leur dis « et tes petits enfants !? Ils aimeront bien voir comment tu étais il y a 30 ou 40 ans ! ». Des fois il faut leur donner une montre, un peu d’argent. Avec Ray Charles, c’était 25'000 dollars d’un coup. Heureusement que je l’ai fait parce que c’est un document exceptionnel, historique qui n’existerait pas autrement.

Students.ch : Montreux est un des festivals avec la plus belle offre gratuite. On peut dire que le festival est cher mais, comme vous l’expliquiez lors de la conférence de presse, quand on regarde dans la globalité, ça n’est pas le cas. Est-ce que pour vous c’est essentiel d’avoir cette offre gratuite ? Vous pensez à qui quand vous imaginez cette offre ?
Claude Nobs : L’offre gratuite est destinée, bien entendu, à ceux qui on un billet. Mais, aussi et surtout à ceux qui n’ont pas de billet parce que c’est complet ou parce qu’ils n’ont pas les moyens d’aller à tous les concerts, et qu’ils veulent profiter d’une ambiance qui est quand-même unique. Quand on est au bord du lac, c’est autre chose que quand on est dans la cambrousse en plein air. Là, on a l’ouverture sur le lac, sur la montagne. On jouit d’une liberté qui est quand-même assez formidable. Les différents espaces gratuits (le Café, le Studio 41, le Parc Vernex) nous permettent d’avoir une programmation très proche de ce qu’on fait dans les deux salles payantes.

Students.ch : Le festival de jazz s’est ouvert à d’autres styles au fil des années...
Claude Nobs : Ca a commencé très tôt ! En 1968 déjà, j’ai programmé un groupe de rock qui a fait scandale. En 1978, on m’a tellement cassé les pieds avec ça que j’ai changé le nom pour « Montreux International Festival ». Ce nom a tenu deux ans et après on est revenu à l’appellation initiale parce que c’est comme un tatouage, c’est compliqué à enlever.

Students.ch : Pensez-vous qu’une programmation 100% jazz ne marcherait pas aussi bien ?
Claude Nobs : Jamais sur 16 jours et jamais dans deux salles. Malheureusement, si on veut prendre les noms qui attirent encore 2000 à 3000 personnes pour le Stravinski, on n’en aura pas beaucoup. On peut les compter sur les doigts d’une main. Il y a beaucoup de groupes qui peuvent faire des clubs, des trucs très sympathiques. Mais pour arriver à remplir une salle aussi nombreuse que cela, c’est très difficile. Presque chaque année, on a les plus grands : Herbie Hancock, Chick Corea, Pat Metheny...


Students.ch : Comment vous est venue cette passion pour la musique et l’idée d’en faire un festival ?
Claude Nobs : Je suis un peu comme Obélix qui est tombé dans la marmite de potion magique très jeune. Je suis tombée dans la potion gramophone parce que quand j’avais 5-6 ans, mon père avait un gramophone à manivelle. Je mettais des disques et comme je ne savais pas lire, j’écoutais la musique et je mettais des étoiles aux disques que j’aimais bien. Quelques années plus tard, j’ai découvert que les disques avec cinq étoiles étaient les disques de jazz (Duke Ellignton, Count Bessie, Ella Fitzgerald) et les disques de variété française avaient une étoile. Il y avait peut-être déjà une sélection qui s’est faite. Mon apprentissage musical, je l’ai fait quand j’étais apprenti cuisinier à Bâle. Il y avait une émission sur Europe 1 qui s’appelait « Pour ceux qui aiment le Jazz » (de Franck Tenot et Daniel Filipacchi). J’écoutais ça tous les soirs après avoir nettoyé mes casseroles. C’est là que j’ai apprit qui étaient Ray Charles, Louis Armstrong, Count Bessie etc.

Students.ch : Le jazz est de plus en plus un style qu’on prend et qu’on ajoute à d’autres styles musicaux, comme un grain de sel qu’on ajouterait pour embellir un morceau. Est-ce que vous pensez que c’est digne du jazz de l’utiliser de cette manière ?
Claude Nobs : J’ai une opinion tout à fait inverse. Très souvent, des gens qui viennent pour un concert rock disent « tiens demain y a ça, c’est quoi ? On en a jamais entendu parlé. Il s’appelle comment là, Pat Metheny ? Bon, on pourrait peut-être aller voir s’il reste des billets ». On arrive à avoir un public plus jeune qui ne serait pas venu normalement et qui vient par ce qu’on a ce mélange. D’ailleurs, c’est très intéressant de voir que dans les premières vidéos, notamment d’Ella Fitzgerald, il y a beaucoup de publique jeune. Ils sont venus pour les concerts de rock et ont été intrigués par cette bonne femme alors ils sont venus l’écouter. Ca va dans les deux sens, il y a aussi ceux qui viennent pour le jazz et qui se disent « tiens c’est qui Nada Surf ? Bon, allons écouter ». On présente et on « force » pas mal de musiciens à découvrir d’autres choses. Ce qui n’empêche pas qu’il y a des festivals de jazz qui ont du succès comme le Cully Jazz. Mais, Cully c’est – je crois – 800 places sous le chapiteau et là quand on met 2000-4000 places c’est plus difficile à remplir.

Students.ch : Cette année, il n’y a pas de hip-hop à Montreux mais d’habitude vous nous présentez de belles soirées consacrées à cette culture. Ce style a aussi ses racines dans le jazz, est-ce que vous pensez que c’est un digne héritier du genre ?
Claude Nobs : Le hip-hop a quasiment été mis en exergue par Quincy Jones, il y a déjà plus de vingt ans. C’est le premier qui l’a intégré dans ses disques, sur « Back On the Block ». D’ailleurs, en 1991, c’est Quincy qui a amené les premiers rappeurs à Montreux. On était bien en avance sur tout les autres. Là, c’était encore très « friendly ». C’est après qu’il y a eu des Tupac et autres, tout les drames qui sont arrivés. Il y a aussi eu des drames dans le jazz. Mais, il y avait tellement d’éléments de violence et, surtout, je crois que malheureusement les quelques personnes qui ont semé la panique durant les deux derniers jours de la dernière édition ne faisaient pas la différence entre le hip-hop « gentil » et le hip-hop « hard ». On n’aimerait pas que ca recommence. Si on trouve une solution tranquille avec du hip-hop positif, on le reprendra. Cette année, on avait assez pour faire un programme bien varié. Pitbull ce n’est pas vraiment du hip-hop...c’est...c’est quoi d’ailleurs comme style ?

Students.ch : C’est indéfinissable, c’est un mélange de pop et d’électro commerciale avec un peu de hip-hop. C’est vraiment pas top
Claude Nobs : C’est pas mon truc non plus

Students.ch : Vous êtes décrit comme un personnage à la fois fêtard et discret. On a d’ailleurs pu voir ça à la soirée « The History of Hip Hop » de l’an dernier où vous êtes monté sur scène pour danser. Vous en avez même perdu votre pantalon. Est-ce que c’est une étiquette qui vous correspond au final ? Ou est-ce une image qu’on vous donne à tord ?
Claude Nobs : Je suis discret dans la vie de tout les jours parce que je sors très peu dans la région. Bon, demain je vais aller à Cully voir Bobby Mcferrin, après je vais à Zermatt. Mais, je sors surtout quand je suis à l’étranger parce que là personne ne me connais et je suis beaucoup plus libre. Mais, j’aime bien faire la fête. Que ce soit ici ou ailleurs, dès que je suis un peu lancé, je suis très content de pouvoir faire la fête. Ca c’est claire.

Students.ch : Mise à part la fameuse boîte de chocolat que vous offrez aux artistes, qu’est-ce qui fait que les artistes aiment autant venir ici et se donner à ce point ? Il y a quand même des choses magiques qui se passent au Montreux Jazz et qu’on ne retrouve nul part ailleurs.
Claude Nobs : Il y a d’abord une liberté des horaires puisqu’on n’a pas d’heures de police. Ensuite, il y a une liberté sur le plan des syndicats. On ne s’en rend pas compte mais en France, notamment, les syndicats du spectacle ont semé la zizanie dans les festivals. Ils ont fait annuler les festivals. Dès lors, les artistes ne se sentent pas très sécurisés. Et puis, tous les gros festivals, que ce soit Nyon, Gurten ou autre, ont un planning de tous les groupes avec l’heure de début et de fin du concert. S’ils n’ont pas finit à l’heure précise, on menace de leur enlever les prises et d’arrêter le concert. A Montreux, on a une certaine souplesse. Si un groupe dérape un peu, on dit au deuxième groupe « allez vient on va boire un pot, vous jouerez un peu plus longtemps après ». A la bonne franquette !


Students.ch : Vous avez aussi l’habitude de créer des miracles musicaux. Cette année, on peut notamment relever la présence de D’Angelo qui avait disparu de la scène musicale depuis plusieurs années et qui revient cette année. Il a fait un très beau concert à Zurich en début d’année, mais personnellement j’étais convaincue que la tournée qu’il a fait était ponctuelle et qu’il nous ferait attendre encore dix ans avant son prochain album.
Claude Nobs : Là, comme il y a que Erykah Badu comme autre concert ce soir là, peut-être qu’ils feront quelque chose ensemble. C’est ça, il y a toujours cette liberté de faire des trucs avec d’autres et liberté totale de finir à minuit, 1h du matin.

Students.ch : Vous avez un secret pour décrocher de tels miracles ?
Claude Nobs : Je crois que c’est simplement une mise en confiance. Il y a aussi le fait de dire « ici, vous êtes pas dans un festival normale. Vous n’êtes pas là pour remplir un contrat ». C’est déjà arrivé une fois avec Van Morrison. Il m’a demandé combien de temps il devait jouer. Je lui ai répondu qu’il pouvait jouer 10 minutes ou deux heures, tu joues tant qu’il a envie, tant que le publique lui fait plaisir. Il m’a regardé avec des grands yeux et m’a dit « mais c’est pas vraiment le contrat 64 minutes ? ». Je lui ai dit qu’il était libre de faire ce qu’il voulait. Je préfère qu’un artiste joue moins longtemps que le contrat mais fasse un truc très fort plutôt qu’il rallonge la sauce ou qu’il soit frustré parce qu’il ne peut pas faire un bis.

Students.ch : Quels sont les artistes que vous n’avez pas eus et que vous rêvez encore d’inviter à Montreux ?
Claude Nobs : Stevie Wonder que j’ai eu à Montreux Tokyo il y a quelques années quand j’ai fait un festival là-bas. Dans le style des grandes dames, c’est Barbara Streisand, évidemment. Il y en a encore beaucoup d’autres, je pourrais faire une longue liste.

Students.ch : Par rapport à votre mériter, quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour le faire ?
Claude Nobs : Je ne sais pas très bien quel métier j’ai vu que j’ai fait un peu de tout. J’ai été barmaid, réceptionniste, cuisinier, j’ai aussi travaillé dans la banque, dans le tourisme. Je crois qu’il faut être très tolérant, comprendre les gens, accepter certaines choses des gens avec un certain calme. Ce sont les qualités qu’il faudrait avoir. Je les ai ces qualités mais ca m’arrive aussi de m’emporter ou de m’énerver. Il faut beaucoup, beaucoup de patience. Surtout quand on construit un programme et qu’on nous dit qu’il faut avoir un tel ou un tel. Je réponds toujours que s’il est vraiment bon, on l’aura l’an suivant. J’ai dû attendre cinq ou six ans avant d’avoir Miles Davis. Stevie Wonder, la même chose. Donc il faut de la patience, de la détermination. Et il ne faut pas que les gens se rendent compte qu’on est déterminé. J’ai eu beaucoup de peine à le cacher parce que je dis souvent que je veux qu’on fasse quelque chose et il faut donc le faire avant que je le demande. Il faut que les gens devinent ce que je vais demander.

Students.ch : De nos jours, on demande toujours plus aux étudiants : plus de formations, plus de langues, plus d’expérience alors qu’on ne nous donne pas forcément l’occasion d’en acquérir. Comment se position le Montreux Jazz par rapport à ces jeunes qui sortent de formation, qui aimeraient bien bosser dans ce milieu et qui ne savent pas très bien quoi faire ?
Claude Nobs : On prend régulièrement des stagiaires qui sont à l’Université, l’EPFL, l’ECAL ou autre pour différents postes. Pendant le festival, on engage 1200 collaborateurs qui sont indemnisés avec un petit montant, qui reçoivent des bons pour boire et manger et qui ont souvent l’accès à une des salles. Je pense qu’il y a des débouchés. Mais, ce n’est pas facile pour y arriver. Mais, on a un service de presse qui engage du monde, on a des chauffeurs, des gens qui s’occupent de la logistique, de la construction, des scènes etc. Même si c’est difficile, il faut seulement se dire qu’on va aller jusqu’au bout et qu’on va arriver à faire quelque chose. J’ai eu la « chance » qu’on vienne quasiment me donner un coup de pied au derrière quand j’avais 17 ans et qu’on me dise « débrouilles-toi ! Va en suisse allemande ». Je suis très reconnaissant que mes parents l’aient fait. Ça m’a enlevé d’un cocon tranquille où j’étais avec mes copains, où je m’amusais dans la forêt. Puis, l’école ne m’intéressait pas beaucoup, je trouvais ça ennuyeux.

Students.ch : Quel type de formation vous attendez des étudiants ?
Claude Nobs : Mais, il n’y a pas d’école du Festival de Jazz. C’est un peu pluridisciplinaire. C'est-à-dire qu’il faut savoir, même si on ne le sait pas très bien, il faut s’adapter, vouloir s’adapter. Et puis se mettre dans le bain.

Students.ch : Merci beaucoup Claude Nobs
Claude Nobs : Mais de rien !

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